Le livre se ferma dans un bruit sourd. Un sourire étira ses lèvres fines. " Le Chuchoteur " était un livre fascinant. Armand était en admiration devant son auteur. L'histoire était bien ficelée même si à chaque fois il devinait la suite "logique" des choses. Posant les billets sur la table, il se leva et quitta le café sans une parole.

La nuit était déjà bien avancée et pas un chat n'osait sortir. Armand aurait voulu dire que "La nuit, tous les chats sont gris", mais là, c'était un peu dur à vérifier. C'était l'ambiance idéale pour nourrir son imagination. Il se représentait déjà sa victime: cette fois, elle serait adulte. Un homme. Un homme bon. Un père. Un mari. Un amant. Un enfoiré. Oui, il avait déjà toute l'histoire en tête. Il s'arrêta au beau milieu de la rue. Quelque chose manquait. Mais impossible de savoir quoi. Soudain, comme un éclair, le manque eût un nom: sucette. Et sans tarder, il sortit la confiserie de sa poche. L'emballage fût retiré avec une aisance qui montrait tout son savoir-faire. Sa langue mutine vint caresser la surface lisse de la sucrerie. Il frissonna de plaisir, salivant devant le bonbon ainsi dénudé. Puis alors, impatient, il l'engloutit entièrement. Un sourire vint fleurir ses lèvres de nouveau.

Il entra dans la ruelle d'un pas léger, inconscient de tout qui pourrait bien lui arriver. De toute façon, il était juste à côté de chez lui, n'est-ce-pas ? Il marcha dans une flaque, il le sentit à son pantalon trempé ; cela eût le don de lui faire croquer la sucette, montrant son agacement. Qui avait eût l'idée de construire des routes ainsi irrégulières ? Encore des hommes politiques évidemment. Plus leurs esprits se rapprochaient du néant, plus ils étaient appréciés. Et dire qu'on le haïssait. Tout ça parce que lui était cultivé et qu'il savait comment se servir de ce savoir. Après tout, s'il extorquait son entourage grâce à son cerveau, était-ce vraiment de sa faute ? C'était eux les idiots !

Des pas se firent soudainement entendre et une voix retentit avec des intonations familières. Il la connaissait par coeur. Elle avait changé, certes. Elle était devenue plus rauque, plus grave, plus sensuelle. Il fit de nouveau craquer sa sucrerie alors qu'une batte caressait son épaule. Cette situation lui évoquait le passé. Un passé lointain et... sans savoir pourquoi, une chose terrible. Un traumatisme. Ils étaient deux à l'époque, derrière lui, dans cette soirée glauque et sordide. Deux frères. Deux monstres, oui ! Deux idiots peut-être. Ils avaient osé ! Ils lui avaient fait ! Ces bâtards lui avaient mit une robe ROSE ! ROSE LA ROBE ! Ils l'avaient habillé et maquillé ! Ils l'avaient prit en photo ! Le pire avait été surtout la VENTE de ces photos ! Et puis... Jamais, au grand jamais, il avait eu les négatifs...

Sans retourner la tête, il dit d'une voix amusée:

- Eh bien, je t'ai connu différent. A l'époque, tu savais te comporter en véritable gentleman. [Il tourna légèrement la tête, affichant ainsi son amusement le plus total. Il regarda son environnement] Vraiment, une ruelle... Personne en vue... Une sucette... Une très grosse batte... Dit donc, demain, je vais avoir mal au cul, moi ! Sincèrement, tu savais que c'était moi ? Ou... Tu espérais... je ne sais pas... de l'aventure... ou une victime ?

L'arme caressa son dos, se posant au milieu de ses reins pour effleurer ses longues jambes. Il frissonna d'excitation. La batte fit un bruit sourd en tombant sur le sol, une musique agréable aux oreilles d'Armand. Il ne put empêcher son sourire de s'agrandir à cette douce mélodie: il l'avait perturbé, destabilisé, surtout surpris. Armand était heureux de l'avoir troublé. Il se souvenait que c'était bien rare de capter l'attention du blond si ce n'était pas de son frère qu'on parlait.

- Que ?! Qu'est-ce-que tu fiches là, imbécile ?! Comment oses-tu être aussi insolent avec moi ! Tu n'es qu'un enfoiré, tu entends ?! Je... J'y crois pas ! J'y crois pas ! Armand, c'est toi ?! Rah, putain ! Tu te rends compte de ce que tu fais, là ? Tu me... Tu me... Tu me fais chier ! Tu viens de me gâcher toute ma soirée, connard !

Maintenant, il pouvait vraiment voir Arsène: il avait bien changé en trois ans. Il avait d'abord grandi: si avant Armand se sentait petit, aujourd'hui il se sentait minuscule. Il y avait dans le regard du jeune auteur qu'une lueur d'amusement devant le comportement de son ancien ami. Il le voyait marcher, tourner, à être tout sauf calme. Son égo devait en prendre un coup devant cette perte totale de sang-froid. Maintenant, il savait s'habiller. Bon, il n'allait pas dire qu'il était beau - ça aurait été mentir. Mais il était sexy, bandant, tout ce que vous voulez. Et puis sa libido qui était un peu au régime n'aurait pas dit non. C'est vrai qu'en ce moment les sucettes se faisaient rares dans ses poches. Bon. Allait-il le laisser poireauter ? C'était bien tentant. Le faire chier ? Ca faisait un bon moment, et puis même, Arsène l'avait laissé ! Et, sans pouvoir s'en empêcher, il se mit à rire. Oh, c'était ce rire enfantin qu'il avait à la "belle époque" ; quand ils étaient réunis lui, le petit con et Oliver. Quand, à cette époque, les tuteurs avaient peur d'eux. Une joie nouvelle émergea en lui.

Armand se mit à sautiller jusqu'à lui, tout guilleret, jouant avec sa sucette, la léchant, la mordillant, la suçant. Il se mit à tourner en rond autour de lui en chantonnant une litanie d'Arsène. Et s'arrêtant face à lui, le fixant de toute sa "hauteur", il... lui mit un poing dans la figure, lui écrasant sa face d'ange. Il se remit de nouveau à rire.

- Arsène, Arsène, Arsène... Ne t'ai-je pas déjà dit que mon seul but dans la vie était de faire la tienne un enfer ? Moi ? Un connard ? Un enfoiré ? Un insolent ? Que de méchancetés dans une si jolie bouche. Je devrais la laver avec la mienne. Non mais sérieux Arsène, après tout ce temps, tu ne pensais tout de même pas que j'allais oublier ? Tu pensais vraiment que... le rose était quelque chose que j'allais laisser passer ? Parce que là, je serais vraiment navré de te dire que tu es débile ! Tututututut ! Que nenni ! Je n'oublie pas, je me rappelle. Et tu vas souffrir ! [Il lui fit son plus beau sourire, son sourire le plus innocent.] Tu m'as manqué, petit con.

Il s'éloigna, relevant les mains de manière à ce qu'elles soient bien visibles pour l'autre, son sourire toujours enfantin car il savait ce qui allait arriver, Arsène allait frapper.

Une ombre surgit derrière lui. Il était là, derrière lui, tout près. Bientôt, il sentirait son souffle près de son oreille. Il en frissonnait déjà. La batte trancha l’air et il s’attendait à se retrouver à terre. Mais rien ne se fît. Alors, de nouveau, il se mit à sourire. Arsène avait-il changé ? Il ne se ferait pas frapper ? Il ne pourrait pas sentir sa batte bien dure contre lui ? Après tout, c’était peut-être mieux. Pour Arsène, il fallait de la qualité et là, il n’était pas franchement éveillé.

Les ongles s’enfoncèrent dans son épaule et il ne pût retenir un éclat de rire. Lorsqu’il son dos rencontra son torse, il en frémit. Et s’il mangeait une délicieuse sucrerie, là, tout de suite ? Après tout, son paquet était presque vide. Lorsque l’argent froid caressa la peau fine de sa gorge, il sût qu’il l’avait peut-être agacé.

- Crève, sale chien !

Sale chien ? C’est vrai qu’il pouvait avoir du mordant.

- Va en enfer ! Retourne de là où tu viens !

L’Enfer ? Devait-il lui dire que c’était auprès de lui ? Non, parce que sinon, avec des amis comme Arsène, nous n’avons pas besoin d’ennemis. Même les vampires semblent inoffensif.

- Tu penses franchement que tu m’as manqué, à moi ?

Armand ne se fit même pas d’illusion, il savait très bien qu’Arsène n’avait pas pensé une seule seconde à lui durant ses dernières années.

- Eh bien oui, imbécile ! Tu m’as manqué !

Il en fût stupéfait. Armand n’avait pas rêvé ? Arsène venait bien de lui dire ce qu’il pensait ? Finalement, le blond avait un cœur ? C’était la première fois depuis qu’il le connaissait qu’il lui avouait un sentiment à son égard.

- Mais ce n’est pas une façon pour retrouver des amis !

C’était décidé, Arsène voulait le tuer. Sérieusement tant de « jolies choses » juste pour lui était… Etrange. Rappelons-nous que cette rencontre n’était pas prévue.

Il le sentit enfin, ce souffle chaud qu’il attendait tant, celui qui l’excitait. Il était brûlant. S’il continuait ainsi, Armand ne se retiendrait plus, il mangerait sa sucette.

Une pointe d’excitation montait dans son pantalon…

- Et cette robe t’allait à merveille, mon cher Armand…

… Pour redescendre immédiatement. Cet enfoiré, cet enculé, ce sale petit con ! Glissant contre son torse, il se dégagea du piège d’Arsène pour s’éloigner. Son sourire était crispé. Une légère ride d’énervement était visible.

- Déjà, le rose te va mieux. Et puis… Même. Au moins, je suis sûr d’attirer les sucettes à moi. Et je tiens à dire, que cette fois là, vous étiez deux contre un. Mais dis-moi Arsène… Que fais un malade échappé de l’asile comme toi dans cette ruelle sombre ? Si je ne m’y trompe, tu avais l’intention soit de me prendre violemment contre les murs humides de cette ruelle sombre ou alors de te faire prendre violemment contre les murs humides de cette ruelle sombre. Ou peut-être que… Tu voulais simplement abattre ton arme contre mon visage angélique ?